
Résumé : dans le contexte de la rationalité dominante, quatre rapports semblent affecter le traitement des catastrophes. Elles sont mises hors sujet par découplage a) de l’ontologique et du politique : la catastrophe est sans agent responsable et le sujet tend à ne pas se sentir concerné ; b) du médiatique et du sémantique : la catastrophe ne fait pas spectacle et le sujet ne parvient pas à la communiquer; c) de l’épistémologique et de l’épistémique : la catastrophe fait exception au savoir et le sujet tend à la réduire à des catégories préexistantes ; d) de l’expérimentation et de l’expérience : la catastrophe ne peut faire l’objet d’une production expérimentale et le sujet ne peut la vivre dans sa radicalité. Autrement dit, les catastrophes opèrent une désaffection des individus qui oblige à repenser drastiquement les notions de responsabilité et d’horizon d’existence, au risque sinon, de voir se généraliser une forme d’«indolence ontologique » ; par leur dimension non phénoménale, elles incitent à reconsidérer leur dramaturgie, c’est-à-dire les modalités narratives et visuelles au moyen desquelles nous pouvons en rendre compte et en faire le récit, d’où la nécessité d’une rescénarisation et d’un travail conjoint des sciences et des arts ; par leur caractère toujours singulier, elles se situent aux frontières du paradigme d’un savoir fondé sur les généralités et les généralisations, les récurrences et les liens de causalité, ce qui nous engage à remobiliser le champ de l’expérience du sujet ; parce qu’elles provoquent des situations où les pratiques ordinaires perdent en pertinence, elles encouragent à leur associer des opérations plus bancales, des «bricologiques » qui font leurs preuves pragmatiquement.