France Culture / La conversation scientifique (Etienne Klein) avec Yoann Moreau, anthropologue et auteur de « Vivre avec les catastrophes » (PUF, 2017).
Le mot « catastrophe » est d’origine cent pour-cents grecque. C’est Rabelais qui, en 1564, l’a introduit dans la langue française pour simplement désigner un bouleversement se produisant par renversement – ou par retournement – d’une situation. Mais à la Renaissance, le terme n’allait pas tarder à désigner tout à fait autre chose c : la destruction, la calamité, le désastre, le cataclysme. Les catastrophes semblent humainement absurdes, impossibles même lorsqu’elles sont en train d’avoir lieu, ce qui ne les empêche pas de surgir régulièrement, suscitant chaque fois la stupeur et l’effroi. Elles défigurent la pensée, l’annulent même. Elles produisent une échappée hors des routines de l’esprit humain, créent un écart symboliquement violent avec le monde tel qu’il avait pris l’habitude d’être, écart qui engendre un imaginaire spécifique, seul capable d’appréhender le pire lorsque celui-ci échappe à toute compréhension. Du chaos primordial à l’apocalypse, du Déluge à la fin des temps, de la tour de Babel à l’An mil, innombrables sont en effet les constructions imaginaires qui ramènent à la catastrophe comme à une constante. Une constante autour de laquelle l’humanité aurait cherché à se définir en plaçant son rapport au monde sous le signe de l’accidentel. Mais comment vit-on concrètement avec les catastrophes ? Et comment parvient-on, après elles et à partir d’elles, à refabriquer du sens alors même qu’elles semblent signer la faillite du sens ?