Le projet ANR FOEHN (2017-2020) s’est inscrit dans le contexte des recherches menées pour accroître la fiabilité des méthodes END (Évaluation Non-Destructive) utilisées dans l’industrie. Bien que la fiabilité technique des procédés END fasse l’objet de nombreux renforcements, les facteurs organisationnels et humains (FOH) demeurent insuffisamment pris en compte par la communauté END. Le projet a été coordonné par le CEA LIST, il réunissait Airbus, EDF, Groupe Institut de Soudure et MINES Paris / ARMINES.
Dans un premier temps, le projet s’est appuyé sur l’analyse de cas d’écarts dans la performance d’END en lien avec les aspects organisationnels et humains de l’activité. Cette première phase s’est traduite par des échanges entre le Centre de recherches sur les Risques & les Crises (CRC, MINES ParisTech, PSL) et des experts en END radiographiques à haute énergie (RT par isotope) de la Direction Industrielle (DI) d’EDF et de l’Institut de Soudure (IS). L’un des cas d’étude retenus montrait que plusieurs inspections successives d’une installation n’ont pas permis la détection d’un défaut existant avant que celui-ci ne soit à l’origine d’une fuite dans un CNPE. Ce cas a conduit à orienter l’analyse FOH sur la phase d’interprétation des radiogrammes (moment où, à la façon du médecin qui inspecte une radio à la recherche d’une fracture, l’interprète cherche à identifier d’éventuels défauts dans une pièce ou un ensemble soudé).
La tâche d’analyse et de modélisation des FOH s’est appuyée sur une étude bibliographique, complétée par une campagne d’observations non-participatives d’opérateurs sur sites et d’entretiens semi-directifs et le suivi de formations d’opérateurs en END. Ainsi, il a été possible de réaliser : (1) une sociologie du métier, mettant notamment en évidence les principaux facteurs d’attractivité et de contraintes de la profession ; (2) une modélisation de l’activité et des déterminants de performance humaine à des fins d’estimation quantitative de probabilité d’erreur.
En adaptant la méthode CREAM (Hollnagel, 1998), la probabilité d’échec pour une activité d’interprétation donnée est obtenue grâce à une analyse hiérarchique des tâches (HTA) ainsi qu’une liste de facteurs contextuels d’influence (CPC pour Common Performance Conditions). En appliquant les principes méthodologiques posés par Hollnagel, il est alors possible d’estimer, pour une situation d’interprétation donnée, la phase de l’activité présentant les principaux risques d’erreur humaines.
Au terme de ce travail, il convient de confirmer l’intérêt de la prise en compte des facteurs organisationnels et humains dans les réflexions sur la fiabilité des procédés END. Le degré de « maturité culturelle » du secteur a été apprécié de façon diverse selon les acteurs et/ou les organisations étudiées. Bien que sous des formes différentes, préoccupation commune existe pour les relations, les interactions, les échanges entre personnes et structures. Les campagnes d’observation et les entretiens menés dans le cadre du projet mettent en lumière des chantiers renvoyant aux champs de l’ergonomie, de la psychologie, de la sociologie mais aussi de l’anthropologie (comme par exemple la question de la culture de sûreté en lien avec le sentiment d’appartenance à un corps, un groupe professionnel et ses valeurs, ses rites, ses mythes) voire de la philosophie (puisqu’il existe une charte déontologique du contrôleur).
Face à un champ si vaste, il a été nécessaire d’opérer des réductions de périmètres afin de pouvoir conduire une étude à la granularité souhaitée (celle, très fine, permettant une expression quantitative de la performance d’un individu environné !). L’espoir est double. Premièrement, en adaptant au contexte des END, sous forme de « preuve de concept », une méthode HRA éprouvée, il est de voir cette approche monter en généralité, formalisant ainsi plus de connaissances sur la profession. Ensuite, en adaptant les outils de la méthode à la réalité du « métier » de contrôleur, il est d’offrir un support (et une matière première) pour mettre en discussion, à différents niveaux (intra- et inter-organisationnels), la question de la fiabilité humaine non culpabilisante. Car, comme le montrent James Reason, Erik Hollnagel, Sidney Dekker et d’autres, l’amélioration de la sécurité passe par l’établissement d’une culture juste (just culture) : une culture qui reconnaît la différence et établi clairement la frontière entre erreur et faute, entre approche individuelle et approche systémique de la « performance humaine ».
Il reste à souhaiter que ce travail trouve des relais dans les institutions du métier (un groupe de travail COFREND sur les FOH devrait démarrer au moment où ce projet s’achève) pour qu’il contribue, à terme, à produire les effets bénéfiques que Desmorat a constaté sur son terrain : « La grille d’analyse et les [CPC] ont permis de favoriser […] en se concentrant sur l’identification des causes des accidents, et pas seulement les actions des opérateurs. Le choix d’intégrer le paradigme des [CPC] dans la gestion de la sécurité a eu des conséquences en dehors du cadre de l’analyse d’accident. La formation des managers de proximité a été un des domaines concernés. » (Desmorat, 2012).
Légende de l’illustration : Des procédés au cœur de la fiabilité et de la sécurité de systèmes critiques.