Les 4ème et 5ème épisodes de la série consacrée au projet TADI présentaient la préparation opérationnelle et le cadre d’une mission terrain, en juillet 2018, dans la filiale Pays-Bas (TEPNL) du groupe Total. Ce 6ème épisode présente une emphase sur la composante offshore de cette mission.
Les gisements gaziers en mer opérés Total aux Pays-Bas ont récemment fait l’actualité de la presse sectorielle et économique, suite à l’annonce d’une probable cession de ces actifs, dont la production a baissé d’environ 20% en 2017 en raison du tarissement des réserves.
Le 13 juillet 2018, Marie Sibout (psychologue du travail travaillant pour Total) et Justin Larouzée (CRC, MINES ParisTech) ont été héliportés sur la plateforme K5CC, située à environ 120 km des côtes hollandaises, pour une journée d’observations et d’entretiens autour des questions de la télé-opération.
Accueillis à bord par le HMI (Head of Mining Installations, le chef d’exploitation), nous avons effectué l’instructive et nécessaire visite de sécurité de l’installation. Nous avons ensuite débuté nos entretiens avec le HMI et les opérateurs présents à bord. Les thématiques soulevées par la question de la télé-opération ont été largement dominées par des composantes anthropologiques : l’imaginaire, la confiance, le vécu, les ressentis. Le rapport à la machine et la technique n’est évoqué qu’à travers des individus et leurs comportements, celui de ce « jeune opérateur qui se comportait avec le moniteur central comme face à un jeu vidéo », de cet autre qui au début de la télé-opération nocturne « se relevait pour vérifier l’installation plusieurs fois par nuit ».
Jusqu’en 1986, il y avait deux opérateurs chargés du monitoring local de nuit. Puis progressivement, TEPNL a expérimenté la digitalisation et la supervision à distance de ses sites offshore « I was trained to use a DCS but the first time I walked at L7B, I saw a dark TV screen, I realized knew how to use the DCS but not how to turn it on! I had to call a colleague onshore to figure out ». A cette époque, les alarmes reçues à distance étaient uniquement des alarmes génériques. La salle de contrôle à terre (IOCC pour Integrated Operation Command and Control) appelait la plateforme pour les traiter, « 7 ou 8 fois par nuit, les opérateurs en mer devaient se lever pour des vérifications ». Les évolutions techniques et organisationnelles ont progressivement exporté des capacités d’agir et leurs responsabilités associées à terre. Une première plateforme, L7B, a été rendue unmanned en 1987 ; le satellite K6 a été pensé unmanned dès sa conception conçu pour être unmanned. K5CC, l’installation principale du champ compte toujours 10 personnes embarquées mais est intégralement téléopérée durant les heures de nuit (toutes les alarmes, y compris les principales, dites Shutdown Related Points, étant suivies à terre depuis l’IOCC).
Notons que l’IOCC permet de contrôler mais pas d’agir à distance, un opérateur explique « Pourquoi ? Parce qu’on est ici ! Ils ne savent pas si quelqu’un est en train de travailler quelque part. Il se peut qu’on shunte une alarme ou un détecteur pour une intervention : cela va générer une alerte à l’IOCC. Ils nous appellent toujours car ils n’ont pas la réalité de ce qui se passe à bord ».
Cette mission terrain confirme le crédo de Thierry Baron (R&D HSE Total EP) : « télé-opérer c’est tout sauf installer de nouveaux écrans et gadgets électroniques ». Dans le cas de TEPNL un long processus de changements techniques, organisationnels et culturels a été entrepris depuis plus de 30 ans. Ce processus commande de redéfinir le rôle de l’humain et celui de la machine, de penser la place et la nature de l’information, d’élucider les déterminants et les garants de la confiance, de repenser le rapport sensoriel, cognitif et émotionnel à la décision, etc.
Cette première mission exploratoire a reçu un accueil enthousiaste et volontaire de la part du personnel de TEPNL. Qu’ils soient ici remerciés. Pour un chercheur, l’occasion d’accéder à ce type de terrains offre une nouvelle dimension aux lectures, échanges et observations menées à terre. De nouvelles missions terrain, sur des installations d’autres filiales du groupe Total, sont en cours dans le cadre du projet TADI.
Légende de l’illustration : Accueil sécurité et visite de la plateforme gazière offshore Total K5CC, le 13 juillet 2018.